Avec Camille Étienne, Le Musée d’Orsay invite à agir
Camille Étienne © Julien Benhamou
Dans le cadre des Nocturnes du Musée d’Orsay, nous avons vibré au rythme de performances au cœur de la galerie des impressionnistes. Camille Étienne, figure de l’engagement de la jeunesse pour la préservation de la planète a imaginé une déambulation afin de célébrer l’océan. De quoi donner envie de découvrir « 100 œuvres qui racontent le climat », un parcours exceptionnel visible partout en France jusqu’au 26 juin.
La programmation culturelle des musées s’étoffe. Les événements nationaux (comme la prochaine Nuit européenne des Musées, le 17 mai) contribuent à inventer des expériences originales. Or, certains musées n’attendent pas ces rendez-vous pour aborder le patrimoine de manière plus globale et vivante, et cela toute l’année, avec des temps forts réguliers : DJ set, installations immersives, performances de cirque…
Cette approche muséographique ouvre les lieux à de nouvelles cibles, dynamise leur image, réduit la distance entre œuvres et visiteurs. Elle témoigne surtout du rôle des musées à envisager, dans un monde en transition, plus seulement comme conservateurs du patrimoine, mais aussi comme acteurs de changement. Ainsi, les institutions portent-elles haut les valeurs progressistes et universalistes.
Enjeux culturels, scientifiques et sociaux
Le Musée d’Orsay fait partie des plus actives en la matière, avec des propositions intéressantes pour sa dimension résolument pluridisciplinaire et la qualité de ses intervenants. Certes, d’emblée, ses chefs-d’œuvre rayonnent et séduisent. Ils peuvent également nous dire beaucoup de ce que nous sommes, de notre histoire. Une mise en perspective est toutefois utile. « Les scientifiques eux-mêmes le reconnaissent : la bataille pour le climat est désormais culturelle. Si les chiffres peinent à mobiliser, l’art, la littérature et le cinéma peuvent encore susciter des émotions, façonner des récits pour transformer les consciences », précise Servane Dargnies-de Vitry, conservatrice Peinture et commissaire du projet.
À l’occasion de l’Année de la Mer 2025, le Musée, engagé dans la lutte contre le changement climatique, a donc travaillé de concert avec Camille Étienne, connue pour ses combats pour la protection des fonds marins, afin de concevoir un programme adapté : « Malraux disait de l’Art qu’il est un anti-destin. Je n’oserais pas croire que l’art suffit. Les peindre ne fera pas revenir la diversité des prairies de Monet, mais grâce à lui, elles nous survivront. Les lignes de Conti ne refroidiront pas l’océan. Aucun pas de deux ne sera suffisant pour inverser à lui seul la marche du monde. L’art en soi ne fera rien, rien du tout. Simplement, il nous donnera peut-être l’envie irrémédiable de faire, de tenir bon, d’étonner la catastrophe. Et en cela, oui, il est un anti-destin », lit-on dans la note d’intention de l’activiste et autrice.
La programmatrice Carla Tomé justifie le choix de cette personnalité émergente : « Camille estime que ses actions d’activiste pour le climat ne se limitent pas à la mobilisation dans la rue ou à l’action dans le champ politique. Elle est particulièrement consciente du rôle crucial que joue l’art dans cet engagement. Ainsi, elle utilise le temps lent et la capacité de créer des liens qu’ont les arts vivants, au-delà des évidences, pour interroger notre société et sensibiliser aux enjeux environnementaux. C’est cette vision holistique qui nous a incités à lui confier la direction artistique de la soirée ».
Opération nationale
Ce « parcours performatif » met également en avant l’initiative nationale « 100 œuvres qui racontent le climat », qui propose des prêts exceptionnels du Musée d’Orsay à des musées partout en France. Un travail collaboratif d’envergure. 49 œuvres emblématiques sont présentées dans 31 institutions réparties sur 12 régions de France, à travers des expositions thématiques, des visites, des conférences et des ateliers ouverts à tous les publics. Les autres œuvres (peintures, sculptures, arts graphiques et décoratifs) sont exposées au sein d’un parcours thématique accompagné de cartels spécifiques dans les collections permanentes du Musée d’Orsay.
Ces 100 œuvres illustrent l’histoire du changement climatique et révèlent ainsi l’évolution de nos paysages et de nos regards. Si les artistes ne traitent pas directement des effets, ils livrent une saisissante représentation du réel. Servane Dargnies-de Vitry rappelle que « les paysagistes du milieu du XIXe siècle en France, pionniers dans leur façon de peindre le vivant, ont été les premiers à plaider pour la protection de la nature. De 1848 à 1914, le monde connaît des bouleversements profonds, inséparables de la révolution industrielle. Des mutations qui font entrer l’humanité dans l’Anthropocène ».
À Orsay, la mer comme fil conducteur
Alors, comment faire entendre la voix de l’océan ? Camille Étienne s’est entourée d’artistes qui, chacun à sa manière, a célébré la beauté et la fragilité de la planète bleue, mais aussi sa force et sa violence. Plus ou moins en dialogue avec les chefs-d’œuvre du musée, la déambulation a été ponctuée de performances (danse, théâtre, musique, littérature), dans une exploration sensible et poétique de notre relation à la mer. Le silence a laissé place aux voix et aux corps en mouvement. Et ça a résonné fort.

Léonore Baulac et Florent Melac (danseurs de l’Opéra national de Paris) ont magnifié L’esprit du bleu de Carolyn Carlson. Quelle intensité que ce haïku dansé ! Les interprètes ont été exceptionnels de grâce et de précision, en parfaite harmonie. Créée en 1977, cette chorégraphie était originellement inspirée des peintures d’Olivier Debré pour donner vie aux signes du paysage, transmettre l’émotion charnelle procurée par ses monochromes. Dans la salle de l’horloge, l’œuvre a bien restitué l’amplitude des gestes, mais délivrait un autre message : dépêchons-nous d’apprécier la beauté environnante car le temps nous est compté !
Très bien organisée, la nocturne pouvait dérouter. Carla Tomé justifie ce parti pris : « On a privilégié la galerie des impressionnistes et les salles postimpressionnistes où se trouvent les plus nombreuses représentations de la mer. Cependant, les artistes ne se produiront pas nécessairement devant celles-ci, en raison de l’espace disponible dans chaque salle et de l’enchaînement des performances. Chacun s’est emparé du thème et l’a traité à partir de son propre univers. L’idée est que le public se laisse porter et puisse déambuler librement au cours de la soirée en faisant le lien à partir de sa propre sensibilité entre les propositions artistiques et les tableaux exposés dans le parcours ».

Léa Lopez et Sefa Yeboah (pensionnaires de la Comédie-Française) ont lu un extrait de la pièce le Naufrageur de Michel Lopez. Devant le Port de La Rochelle de Paul Signac, le récit sur l’exil a pris de la force. De plus, la comédienne lisait le texte de son père, concerné par le sujet et le comédien, originaire d’Afrique, explique que « d’ailleurs » est son expression préférée car, au sens propre, elle signifie « d’un autre endroit » et au figuré « du reste ». Cette belle prestation a bien sensibilisé sur le sort des réfugiés climatiques, dont on ne sait pas toujours d’où ils viennent, sinon l’enfer, et encore moins où ils vont.
Bel équipage
Rien d’étonnant dans le choix de ces institutions nationales. En revanche, on salue le choix de l’ONG SOS Méditerranée, justement, en faveur de laquelle Camélia Jordana (chanteuse, compositrice et comédienne) a chanté la veille, devant les Nymphéas bleus de Monet. Parmi les autres invités, Blandine Rinkel (autrice) et Maison Pierô (musicien) ont lu en musique un extrait de la Faille (Stock, 2025) ; Tamara Klink, navigatrice brésilienne, a lu un texte qui relate son hivernage volontaire dans les glaces du Groenland pendant huit mois. Ces performances ont eu du souffle, telles les vagues, « ces respirations de l’océan ».
Évidemment, Camille Étienne était là, livrant en vrac quelques-unes de ses… Impressions de la mer : « Pourquoi donc appeler la planète Terre, alors que celle-ci est recouverte à 70 % de mer ?! ». Pour une fois, sa prise de parole était apolitique. Pour autant « Désobéir à la sidération », reste son mot d’ordre, comme dans son ouvrage Pour un soulèvement écologique : dépasser notre impuissance collective, publié au Seuil en 2023. Le déni, la peur ou l’ignorance ne paralysent-ils pas encore l’action ?
Relevons qu’en louant ainsi les mérites de l’art, Camille Étienne n’adopte pas la même stratégie que Just Top Oil, qui fait le choix, radical, de jets de soupe. Aux yeux de ce dernier, altérer avec violence ce que nous estimons, valorisons et protégeons, en tant que société, symbolise le massacre environnemental collectif auquel nous participons plus ou moins volontairement. Le collectif écologiste place le vandalisme au service de la résistance civile. Le choc de ces actions ne vise-t-il pas à réveiller les consciences, plutôt qu’à heurter ?
En tout cas, Camille Étienne a embarqué son auditoire, qui s’est rué sur l’excellent choix d’ouvrages traitant d’art et écologie. Très présente sur les réseaux sociaux, cette militante de 26 ans a déplacé de nombreux jeunes. Depuis plusieurs années, elle mène brillamment des actions de désobéissance civile, de lobbying auprès des décideurs et de sensibilisation à destination du grand public. Au moment du confinement, elle a créé le collectif Avant l’orage visant à rapprocher l’art et l’écologie, avec des documentaires percutants. Sa vidéo Réveillons-nous a atteint les 15 millions de vues : « L’art, en tant que miroir grossissant du monde, devient un moteur pour sortir de l’apathie », estime-t-elle.
En grande partie grâce à Camille Étienne et ses invités, le Musée d’Orsay a donc parlé du climat de manière inédite. La visite libre a donné envie de revenir apprécier à sa juste valeur, entre autres, Au pays noir de Constantin Meunier qui témoigne de l’exploitation des énergies fossiles ; la Mer orageuse de Courbet ; le Golfe de Marseille de Cézanne ; Le Pont de chemin de fer à Argenteuil de Monet qui marque l’essor des transports, ou encore les portraits d’animaux de Rosa Bonheur, qui évoquent la biodiversité.
Redécouvrons la beauté du monde, réveillons-nous et… agissons !
Sarah Meneghello
À lire : 100 œuvres qui racontent le climat (RMN, diffusion Flammarion, avril 2025, 35 €) : autour de reproductions, l’ouvrage réunit des experts mondiaux du climat et des conservatrices du musée d’Orsay pour mener une analyse du dérèglement climatique à travers les collections du musée
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